Les comètes émergent en littérature parce qu’elles sont des évènements célestes exceptionnels, et par là susceptibles d’être des marqueurs temporels forts et des éléments narratifs que les auteurs insèrent dans leurs récits, commentent, et souvent interprètent. Elles apparaissent donc de façon privilégiée dans les mémoires, les chroniques, les correspondances où elles font parfois l’objet de descriptions détaillées. On retrouve ainsi une comète dans Le Poème sur la grande peste de 1348, poème didactique rédigé par un clerc de la faculté de Paris, Olivier la Haye (1426), qui attribue la calamité à des causes sidérales :
Est assavoir que la Comète
Est un feu, peu accoustumé
à apparoir, fort allumé
Hault en l’air en une matière
Terrestre, visqueuse et légière, …
Madame de Sévigné évoque de son côté, dans de nombreuses lettres, les comètes qu’elle observa avec admiration en 1664 et 1681. Elle porte un regard lucide et amusé sur les perceptions qu’elle-même et ses contemporains en eurent : « Premièrement, il y a une comète qui paraît depuis quatre jours. Au commencement elle n’a été annoncée que par des femmes, on s’en est moqué ; mais présentement tout le monde l’a vue. » ; « J’ai vu cette nuit la comète. Sa queue est d’une fort belle longueur ; j’y mets une partie de mes espérances. » écrit-elle à la fin de l’année 1664 ; ou encore « Nous avons ici une comète qui est bien étendue aussi ; c’est la plus belle queue qu’il est possible de voir. Tous les grands personnages sont alarmés, et croient fermement que le ciel, bien occupé de leur perte, en donne des avertissements par cette comète. On dit que le cardinal Mazarin étant désespéré des médecins, ses courtisans crurent qu’il fallait honorer son agonie d’un prodige, et lui dirent qu’il paraissait une grande comète qui leur faisait peur. Il eut la force de se moquer d’eux, et il leur dit plaisamment que la comète lui faisait trop d’honneur » (lettre au comte de Bussy, 2 janvier 1681).
Chateaubriand de son côté évoque poétiquement sa contemplation de la comète de 1811 dans les Mémoires d’Outre-tombe :
Depuis trois ans j’étais retiré à Aulnay : sur mon coteau de pins, en 1811, j’avais suivi des yeux la comète qui pendant la nuit courait à l’horizon des bois ; elle était belle et triste, et, comme une reine, elle traînait sur ses pas son long voile…
Souvent spectaculaire, la comète est toute désignée pour être associée à la grandeur, à l’énormité dans tous les registres positifs, ou négatifs que ses valeurs peuvent déployer. Les poètes romantiques en font donc un large usage. Victor Hugo, ami de l’astronome François Arago, et au fait par lui des avancées de la science, est fasciné par la démesure de l’Univers dont l’infinité abyssale commence à être perçue. La Légende des siècles témoigne de cette fascination : dans L’épopée du ver, Hugo oppose la finitude et l’infimité de l’homme à l’immensité du cosmos :
La comète est un monde éventré dans les ombres
Qui se traîne, laissant de ses entrailles sombres
Sa lumière tomber.
A échelle humaine, la comète devient l’attribut du héros. Le savant, auquel elle procure parfois ses titres de gloire, en devient un avatar. Dans un long poème intitulé « La comète », Hugo fait l’éloge de l’astronome entièrement dévoué à la cause de la science. Musset dans les Confessions d’un enfant du siècle se demande « Que pensent donc les astronomes lorsqu’ils prédisent à point nommé, à l’heure dire, le passage d’une comète, le plus irrégulier des promeneurs célestes ? »1. Chateaubriand souligne le paradoxe qui veut que l’homme « insecte microscopique » puisse approcher par l’esprit les mystères des astres : « Que l’homme est petit sur l’atome où il se meut ! Mais qu’il est grand comme intelligence ! Il sait quand le visage des astres se doit charger d’ombre, à quelle heure reviennent les comètes après des milliers d’années, lui qui ne vit qu’un instant ! » . Ailleurs, il compare à plusieurs reprises Napoléon à une comète : « …pour les êtres de la nature de Napoléon, une raison d’une autre sorte existe ; ces créatures à haut renom ont une allure à part : les comètes décrivent des courbes qui échappent au calcul ; elles ne sont liées à rien, ne paraissent bonnes à rien ; s’il se trouve un globe sur leur passage, elles le brisent et rentrent dans les abîmes du ciel ; leurs lois ne sont connues que de Dieu. Les individus extraordinaires sont les monuments de l’intelligence humaine ; ils n’en sont pas la règle. »
- 1. Faisait-il allusion au retour de la Comète de Halley en 1759, calculé par Clairaut, Mme Lepaute et Lalande ?
Par dérision, et retournement du symbole, la comète est associée au pseudo-savant ridicule. Le Connaisseur prétentieux, dans les Contes moraux de Marmontel, fanfaronne ainsi :
Car vous saurez que c’est moi qui donnai l’éveil à nos astronomes. -vous, monsieur ? -ils n’y pensaient pas, et sans moi la comète passait incognito sur notre horizon. Je ne m’en suis pas vanté, comme vous croyez bien : je vous le dis en confidence.
tandis que Marivaux fait dire à l’Indigent philosophe : « Je n’aime pas à me vanter, moi, je suis naturellement modeste, comme vous avez pu voir ; mais cela n’empêchera pas que je ne vous dise que je parus comme un astre. Il y eut quelqu’un qui me compara à une comète ; mais la comparaison d’un astre vaut mieux : car la comète, compère, on dit qu’elle pronostique malheur, et moi je ne procurais que du bonheur à mes camarades, et du plaisir aux autres ».
La grandeur ne va pas sans effroi. Cette dimension très ancienne, liée à la dimension prédictive des comètes, se retrouve chez de très nombreux auteurs. Dans Abîme, Victor Hugo associe en trois vers intitulés « la comète » ces deux traits antinomiques et complémentaires :
Place à l’oiseau comète, effroi des nuits profondes !
Je passe. Frissonnez ! Chacun de vous, ô mondes,
Ô soleils ! n’est pour moi qu’un grain de sénevé !
Dans la même veine, les comètes revêtent aussi aisément une dimension nocturne, sinistre, voire diabolique. Jean Moréas (Les Syrtes, 1884) joue poétiquement de cette symbolique, en incluant la comète dans la panoplie traditionnelle du magicien :
tu connais les accoutumances
des devins, et les nigromances
et les hocuspocus affreux.
Sous la comète et sous la lune,
en tunique de pourpre brune,
très blanche avec des cheveux blonds,
près du lac où nagent les cygnes,
ta feinte candeur a des signes
qui parlent des sentiers oblongs…
Plus radicalement, Philippe Jaccottet (Pensées sus les nuages, A Henry Purcell) associe pour sa part la comète à la mort :
Songe à ce que serait pour ton ouïe, toi qui es à l’écoute de la nuit, une très lente neige de cristal.
On imagine une comète qui reviendrait après des siècles du royaume des morts et, cette nuit, traverserait le nôtre en y semant les mêmes graines…
La richesse et la multiplicité de la symbolique associée aux comètes est sans doute ce qui garantit leur présence particulière en poésie sur le temps long : Hugo, Desnos, Char, Senghor, Queneau, Jacottet et bien d’autres ont utilisé leur ambivalence, leur apparition lumineuse et brutale qui tranche sur la nuit et trouble son silence par un vacarme inaudible. Léopold Senghor déclare ainsi dans L’homme et la bête :
Hê ! vive la bière de mil à l’Initié !
Un long cri de comète traverse la nuit, une large clameur rythmée d’une voix juste.
Et l’Homme terrasse la Bête de la glossolalie du chant dansé.
et Philippe Jacottet note :
Plus aucun souffle.
Comme quand le vent du matin a eu raison de la dernière bougie.
Il y a en nous un si profond silence qu’une comète
en route vers la nuit des filles de nos filles, nous l’entendrions.
Sans doute en raison du rapprochement précoce entre la chevelure de la comète et la chevelure humaine, -analogie qui signe l’étymologie même du mot puisque le grec κομήτης signifie « chevelu »-, les comètes ont également une symbolique féminine marquée. Dans La chevelure, Maupassant évoque la découverte inattendue de cheveux de femme dans un meuble oublié : « je la tirai de sa cachette. Aussitôt elle se déroula, répandant son flot doré qui tomba jusqu’à terre, épais et léger, souple et brillant comme la queue en feu d’une comète. ». Marcel Proust décrit la bande des jeunes filles en fleur face à la mer, progressant « le long de la digue comme une lumineuse comète ». Robert Desnos, file la métaphore de la chevelure tout au long d’un poème intitulé Sirène-Anémone :
C’était par un soir de printemps d’une des années perdues à l’amour
D’une des années gagnées à l’amour pour jamais
Souviens-toi de ce soir de pluie et de rosée où les étoiles devenues comètes tombaient vers la terre
La plus belle et la plus fatale la comète de destin de larmes et d’éternels égarements
S’éloignait de mon ciel en se reflétant dans la mer
Tu naquis de ce mirage
Mais tu t’éloignas avec la comète et ta chanson s’éteignit parmi les échos
…
Quand à jamais la comète sera perdue dans les espaces
Surgiras-tu mirage de chair et d’os hors de ton désert de ténèbres
Souviens-toi de ce paysage de minuit de basalte et de granit
0ù détachée du ciel une chevelure rayonnante s’abattit sur tes épaules
Quelle rayonnante chevelure de sillage et de lumière
Ce poème montre la richesse et la complexité du rapprochement entre femme et comète : outre sa chevelure, l’amante, la bien-aimée est métaphoriquement comète parce qu’elle est unique, parce qu’elle est objet de contemplation, parce qu’insaisissable et impermanente, sa présence constitue un miracle.
Dans un registre plus léger, Gros-René s’adresse en ces termes à Marinette dans Le Dépit amoureux de Molière : « Adieu, chère comète, arc-en-ciel de mon âme », Mallarmé écrit à un ami : « Je suis heureux, ravi, de voir passer cette chevelure blonde dans ton ciel sans comète depuis longtemps. » et Charles Cros écrit dans Le coffret de santal :
Ce n’est plus l’heure des tendresses jalouses, ni des faux serments.
Ne me dis rien de mes maîtresses, je ne compte pas tes amants.
à toi, comète vagabonde souvent attardée en chemin, laissant ta chevelure blonde flotter dans l’éther surhumain, qu’importent quelques astres pâles au ciel troublé de ma raison,
Dans L’Île des pingouins (1908), Anatole France n’associe pas par hasard la découverte de la sexualité d’un jeune homme, la rencontre du diable et l’année de la comète : « Depuis déjà cinq ans Samuel n’est plus en état d’étonner les monstres par son innocence. L’année de la comète, le diable, pour le séduire, mit un jour sur son chemin une laitière qui troussait son cotillon pour passer un gué. ».
Plus crûment, Céline, dans Mort à crédit, met les comètes, et d’autres objets célestes, au service d’un discours misogyne, en forme d’avertissement au jeune amoureux:
Ah ! c’est trompeur une «vaporide» mon petit gniard !… Pas même une comète d› »attirance»… Te laisse pas berner, troubadour ! Les étoiles c’est tout morue !… Méfie-toi avant de t’embarquer ! Ah ! c’est pas des petites naines blanches !
La progression de la connaissance scientifique, loin de faire perdre aux comètes leurs mystères, parait au contraire renforcer leur puissance évocatrice à partir du XIXe siècle. Ce mouvement d’intégration des comètes dans le vocabulaire et l’imaginaire poétique n’est sans doute pas dissociable de leur popularisation au sens le plus large, popularisation renforcée par l’extraordinaire fortune de la comète de Halley en 1910. Celle-ci se traduit par la production d’une belle et remarquable expression argotique, « refiler la comète », qui apparaît dans les journaux de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle mais aussi dans Les soliloques du pauvre de Jehan Rictus, au sens de « se coucher à la belle étoile »…
Voir aussi > les comètes dans l’Art