Les débuts d’une approche scientifique

Se détachant de l’influence d’Aristote, la Renaissance apporte progressivement une vision nouvelle sur les comètes. Avec les débuts de l’imprimerie, les représentations de comètes se multiplient : elles se font plus réalistes et apparaissent au milieu de paysages ou d’assemblées. Certains, comme Rabelais, se moquent des signes funestes que représentent encore souvent les comètes, et de leur usage astrologique.

C’est alors qu’apparaissent, en Europe, les savants qui vont tenter de répondre aux questions de Sénèque. Le premier d’entre eux  est l’Italien Paolo Toscanelli (1397-1482). Il inaugure le renouveau des observations cométaires en décrivant le mouvement apparent dans le ciel de six comètes. Le premier savant à véritablement considérer les comètes de façon scientifique est Johannes Müller von Königsberg, dit Regiomontanus (1436-1476). Il explique comment on pourrait en calculer la distance, sans faire une application précise de ses idées. Cette application, qui concerne la comète de 1472, se trouve dans le livre De Cometae… publié sous son nom en 1531, mais qui est probablement d’un autre auteur. La distance de la comète y est estimée de façon erronée à 9 rayons terrestres, ce qui la maintient dans le monde sublunaire (la distance Terre-Lune est d’environ 60 rayons terrestres, soit un peu plus de 384 000 km)… De son côté, Girolamo Cardano (Cardan, 1501-1576) penche pour une grande distance, supra-lunaire, en raison du fait que le mouvement des comètes dans le ciel est plus lent que celui de la Lune, ce qui est un bon argument.

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Deux méthodes pour estimer la distance d’une comète. À gauche, par des mesures répétées. On observe la comète à différents moments de la nuit, pendant lesquels l’observateur occupe successivement les positions 1, 2 et 3 en raison de la rotation de la Terre. La comète (en bleu) apparaît donc pour lui à des positions différentes par rapport aux étoiles lointaines. Comme la comète se déplace régulièrement sur une trajectoire quasi rectiligne, sa trajectoire apparente est déviée chaque nuit par cet effet, comme il est représenté en dessous par des flèches en traits gras. À droite, par des mesures simultanées. La comète est observée au même moment par deux observateurs A et B situés à des endroits éloignés sur la Terre : la comète apparaît à chacun occuper une position différente par rapport aux étoiles lointaines.

Source : James Lequeux

Plusieurs astronomes, notamment Girolamo Fracastoro (ca. 1478-1553) et Petrus Bennewitz ou Bienewitz, dit Apianus ou Apian (1495-1552), observent que la queue des comètes est située à l’opposé du Soleil : une observation qui n’est pas évidente, car on ne peut pas voir en même temps le Soleil et les comètes en raison de la faible luminosité de ces astres.

Et puis la comète de 1577 va fournir enfin l’occasion d’obtenir enfin une distance fiable. Michael Mästlin (1550-1631), un copernicien convaincu, et le célèbre astronome danois Tycho Brahe (1546-1601), un des plus grands observateurs de tous les temps, remarquent que la comète ne montre pas les déviations quotidiennes de sa position qu’elle devrait présenter si elle était proche (voir figure). Tycho Brahe va même comparer deux mesures simultanées de la position de la comète par rapport aux étoiles, l’une qu’il effectue lui-même dans son observatoire d’Uranibourg sur l’île de Hven au Danemark, et l’autre conduite par son collègue Thaddaeus Hagecius (1525-1600) à Prague, à quelques 600 km de distance.

La différence entre les positions mesurées par les deux astronomes n’est que de 1 à 2 minutes de degré, alors qu’elle aurait dû être de 6 à 7 minutes si la comète se trouvait à la même distance que la Lune. Tycho Brahe estime donc que la comète est six fois plus éloignée que la Lune. En réalité ce n’est qu’une limite inférieure, mais peu importe : la comète est incontestablement plus lointaine que notre satellite et on sait maintenant que les comètes ne sont pas des phénomènes de l’atmosphère terrestre.

Galilée (1564-1642), qui n’aime guère Tycho Brahe, n’est pas convaincu par sa démonstration. Il s’ensuit une controverse à laquelle prennent part plusieurs savants, élèves ou opposants de Galilée. Elle débute en 1618 et mettra plusieurs années à s’apaiser, s’achevant avec la victoire des tenants de la grande distance des comètes. Élève de Tycho Brahe, Johannes Kepler (1571-1630) défend ce dernier contre Galilée qu’il admire pourtant beaucoup, dans un opuscule de 1625 intitulé Tychonis Brahei Dani hyperaspistes (« Le bouclier au-dessus de Tycho Brahe, le danois »). Il y émet pour la première fois des idées sur la nature des comètes :

La tête est comme une nébuleuse accumulée, un peu transparente ; la queue ou la barbe est une effluve de la tête, expulsée par les rayons du Soleil dans la direction opposée, et dans cette effusion continuelle la tête est finalement épuisée et consumée, si bien que la queue signifie la mort de la tête.

Il n’y a rien à reprendre à cette description : ce sont effectivement des matériaux expulsés par la comète qui en constituent la queue dirigée dans la direction opposée au Soleil, et les comètes finissent par disparaître.